À l’origine, il y a le prénom

Alors que je me sens passablement mal fichue, je me demande si la lecture d’un livre peut, à proprement parler, rendre malade.
Le lecture de La carte postale d’Anne Berest est difficile à plus d’un titre, à la limite de l’insoutenable parfois.

Mais là c’est autre chose.

J’ai lu hier soir ces quelques pages sur l’importance, l’impact que peut avoir le choix d’un prénom sur la vie de celle ou celui qui le porte.
Je me souviens de la stupeur qui a été la mienne quand j’ai pris pleinement conscience, il y a quelque chose comme un an et demi, de ce que cela représentait peut-être pour moi – quand on sait le prénom que portait ma mère, on s’étonnera sans doute que cela ait pu me prendre autant de temps.
À ce moment-là, je me suis dit : je crois que j’aimerais changer de prénom. Je crois que j’en ai besoin.
J’ai commencé à partager cette idée avec une poignée de proches, établi une courte liste dans ma tête.
Et puis, sans que je m’en rende tout à fait compte, je n’y ai plus pensé.
Convaincue, peut-être, que j’avais d’une certaine façon fait la paix.

C’est une réflexion qui m’habite à nouveau depuis plusieurs semaines.
Pour diverses raisons, me semble-t-il assez différentes de celles d’alors – mais le sont-elles vraiment – je me dis à nouveau : je crois que j’aimerais changer de prénom.

Et puis ces pages lues hier soir. Un récit de vie qui n’a absolument rien à voir avec le mien. Et pourtant comme une plaie à vif.

Ce matin, alors que j’ai l’impression d’évoluer dans les eaux poisseuses des lendemains de nuits trop courtes, des nuits de fièvre, je repense à tout ça.

Je repense à l’atelier auquel j’ai participé la semaine dernière.
À Paul, qui persistait à m’appeler Anna. À Paul que je n’ai pas repris.
Pas tellement parce que ça n’avait guère d’importance – une lettre de différence, qu’est-ce que ça change au fond – mais parce que presque immédiatement je me suis dit : oui, ça pourrait être ça, juste ça – une lettre de différence, est-ce que ça ne changerait pas tout, au final ?
Surtout, je me suis dit : ainsi, j’aurais une lettre de différence, pas une lettre de moins. Je ne serais plus contenue dans le prénom de ma mère (et dans celui de sa propre mère), je n’en serais plus une réduction.

Et parce que ce sujet en entraîne irrémédiablement d’autres, j’ai repensé aux recherches généalogiques que j’avais esquissée à peu près à la même période.
Je n’avais pas été très loin, je m’étais contentée de consulter quelques sites internet mettant ces informations à disposition.
J’avais constaté une chose bouleversante pour moi : du côté de mon père, j’avais accès à un arbre foisonnant, me permettant de remonter bien des générations en arrière.
Du côté de ma mère : rien. Le néant.

Cela pourrait sembler anecdotique, ou à tout le moins facilement explicable : s’il y a des éléments du côté de mon père, c’est simplement parce que quelqu’un dans la famille a fait ce travail de recherche et l’a partagé (plus facile, sans doute, dans le cas d’une famille nombreuse que dans celui d’une fille unique).

Mais ce matin, cela me semble être tout sauf une anecdote.
Je prends conscience aussi que ces arbres – ou plutôt cet arbre et cet absence d’arbre – sont le reflet de ce que je sais, de ce que j’ai entendu, ou pas, comme récits de famille, comme récits de vie.
Je ne connais pas toute l’histoire de la famille de mon père mais j’en ai entendu suffisamment pour que son existence soit tangible, palpable. D’une certaine façon, cela me donne la possibilité de construire ma propre vision de cette histoire à partir de ces fragments épars. Il me semble que c’est déjà beaucoup.
Du côté de ma mère, il me semble n’avoir pour ainsi dire rien entendu.
La plage blanche, ou presque.
L’arbre sans la moindre feuille, sans la moindre racine.
Bien sûr, tout cela est décuplé par le fait qu’il est désormais trop tard. Que je n’ai plus la possibilité d’interroger ma mère, de lui demander si elle accepterait de partager avec moi, avec nous, une partie de son histoire.

Il y a plusieurs semaines, j’ai décidé d’intituler mes carnets de danse : « La pièce manquante ».
Je prends conscience que, décidément, tout cela m’entraîne, me pousse beaucoup plus loin que je ne l’aurais imaginé.

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