Réflexions autour de l’article« Gestion de crise : comment tirer les leçons du coronavirus ? », Henri Bergeron, Olivier Borraz, Patrick Castel et François Dedieu, 22 avril 2020
Première publication sur Linkedin le 11 mai 2020, mis à jour le 08 juin 2020
C’est un article parmi de nombreux autres. Qui plus est, c’est un article qui ne date pas tout à fait d’hier.
Publié sur AOC – Analyse Opinion Critique le 22 avril dernier, il vaut tant pour ce qu’il explicite et nous apprend que pour les questions qu’il pose, ce qu’il donne envie de découvrir, les liens qu’il tisse (ou invite à tisser, j’y reviendrai).
Que voulez-vous, en ce moment je n’aime rien tant que les lectures qui ouvrent des portes.
N’étant pas, tant s’en faut, spécialiste de la gestion de crise, je ne suis pas forcément à-même d’amener de compléments sur ce sujet en particulier.
Disons que j’ai choisi de faire de cet article une espèce de marchepied. De partir de celui-ci pour développer deux idées, dans une optique somme toute un peu différente – mais que j’espère complémentaire.
Ce texte que je partage avec vous aujourd’hui est le fruit d’une réflexion menée jusque-là en solitaire (même si initiée, épaulée, enrichie par de nombreuses et précieuses ressources citées – en partie – ci-dessous).
Je vous le livre tel quel, bien que le sachant rempli d’angles morts, de biais divers, dans l’espoir de parvenir à en dépasser au moins quelques-uns.
Une dernière chose : il se pourrait bien que ce texte contienne plus de questions que de réponses.
De cette lecture, je retiens principalement deux idées.
La première est le prolongement de l’une des solutions évoquées par les auteurs, relative au retour d’expériences.
La seconde, comme une prise de recul, est une tentative de réponse aux questions suivantes : Comment ouvrir le champ des possibles ?
De quelle(s) façon(s) pouvons-nous, dans notre travail au quotidien, nous saisir des travaux / études / expérimentations (menés par les universitaires, les agences de design, les collectifs citoyens …) ? Comment pouvons-nous, concrètement, en faire des outils de travail à part entière ?
Ces deux aspects me semblent relever d’un questionnement plus général relatif à la façon dont nous travaillons aujourd’hui dans les administrations.
« Organiser le retour d’expériences »
« Il est plutôt temps de faire état de nos forces et de nos enthousiasmes. Ce qui réjouit, c’est d’essayer. »
(Les Saprophytes, urbanisme vivant, Entretien avec Amandine Dhée)
Parmi les pistes de réflexion présentées par les auteurs de l’article, il y en a une qui m’apparaît centrale : « Organiser le retour d’expériences ».
Sans doute parce que je suis une incorrigible observatrice, il me semble que la période que nous vivons peut, d’ores et déjà, être celle de la collecte.
Penchons-nous et observons ce qui pousse sur les trottoirs quand personne ne vient arracher les « mauvaises herbes ».
Aiguisons notre regard, pour être capable de saisir ce qui, déjà, se met en place de façon peut-être un peu différente. Ne nous focalisons pas uniquement sur ce qui (nous) bouleverse. Soyons attentifs aux ajustements, ceux qui, presque imperceptibles, peuvent être aussi riches de sens, d’informations, de possibilité d’apprentissage.
Les appels à témoignage, à observation, se multiplient.
Je reviens ici rapidement sur l’un d’entre eux, publié sur le portail de la transformation de l’action publique : [Innovation : appel à témoignages] Dites-nous tout !
Si je ne partage pas tout à fait le vocabulaire de la quête de l’innovation, la démarche m’apparaît intéressante.
Il me semble que nous aurions à gagner, chacun dans nos organisations respectives, à répondre dès aujourd’hui à quelques-unes des questions posées :
« Qu’est-ce qui vous a le plus surpris dans le « mode de faire » mis en place pour avancer dans votre mission ? » ;
« Quelles sont les nouvelles méthodes, approches ou solutions que la crise du Covid-19 a accéléré ou fait changer dans votre travail ? »
L’occasion d’observer comment nos organisations travaillent, avec une espèce d’effet loupe propre à la période.
Il s’agirait alors de décrire, de la manière la plus factuelle possible :
– ce qui (pré)existe / ce qui se met en place ;
– ce qui fonctionne / ne fonctionne pas (ou moins bien) ;
– ce qui nous a aidé / bloqué / manqué dans la réalisation des diverses tâches / missions quotidiennes.
Observer et se demander : qu’est-ce qui émerge ?
Aussitôt se rappeler que cela n’est sans doute pas ex nihilo. S’intéresser à la façon dont ça met peut-être l’existant en lumière d’une façon légèrement différente.
Dresser, en somme, un état des lieux de nos modes de faire.
Pour l’instant : on observe et on décrit. Il sera toujours temps par la suite de se demander ce qui a bien fonctionné, ce qu’on souhaite développer, ce sur quoi on souhaite s’appuyer.
Saisir l’occasion de commencer à définir nos indispensables pour la suite, notre minimum (que l’on qualifiera au choix de « juste », « réaliste », « harmonieux », « équitable », « adapté »…tout mais pas « strict », s’il-vous-plaît).
Collecter les matériaux qui seront la base de nos récits, de nos collectifs et donc de nos organisations de demain.
Ouvrir le champ des possibles
J’ai mentionné plus haut les quelques questions qui ont guidé ma réflexion sur ce point.
Je ne résiste pas à l’envie d’en ajouter quelques-unes :
• Comment on multiplie, diversifie les regards ?
• Est-ce que l’on accepte d’être « changé » par ces regards différents ?
• Quel(s) accès aux savoirs / travaux / études / expérimentations ?
• Quelle circulation de l’information ?
• Quelle mise en réseau ?
Il me semble que l’on peut trouver des éléments de réponse à ces questions en effectuant un double mouvement :
– l’ouverture de l’administration vers les structures / acteurs produisant du « savoir » – universitaires, agences de design, collectifs citoyens… (porter le regard vers)
– la création et l’entretien de liens concrets entre ces deux mondes (travailler avec)
Cela passe sans doute par la prise de conscience aiguë de l’appartenance à un même système.
Les travaux des uns peuvent nourrir les décisions / réflexions des autres.
Il ne s’agit pas, ou plus, de se contenter d’un échange ponctuel, sur une thématique donnée.
Ni de s’enfermer (ou se laisser enfermer) dans une logique de commande (l’administration demande, les universitaires / agences de design / etc. répondent).
Il me semble qu’il faut désormais parvenir à créer les conditions d’un dialogue régulier qui aide à penser / concevoir / évaluer / ajuster nos modes de faire (et, in fine, d’interroger l’action publique en tant que telle).
Au-delà de la logique d’ouverture – qui me semble relever de la décision, d’un choix stratégique – si l’on se place du point de vue du travail quotidien dans nos structures, il convient de se poser les questions suivantes :
Avec qui travaillons-nous ? Qui sont nos partenaires ?
De quels moyens et ressources se dote-t-on, notamment en interne, pour assurer la mise en relation, animer le dialogue ?
Comment faire en sorte d’alimenter la réflexion en permanence, tout en étant au plus près de ce qui se joue quotidiennement dans nos organisation ?
Je vois dans ces questions l’esquisse d’un métier à part entière, qu’il ne me semble pas avoir beaucoup rencontré jusque-là au sein des administrations.
Il s’agit bien, finalement, de parvenir à faire cohabiter au sein même de nos organisations / administrations des temps, des temporalités différentes (réflexion / action) et de veiller à les articuler au mieux.
Donnons-nous les moyens de prendre le temps de l’échange, de l’analyse, de la construction partagée.
Une conclusion ?
Je crois qu’il est grand temps d’ouvrir des portes et d’imaginer – construire – entretenir des passerelles.
« Faire des cabanes : imaginer des façons de vivre dans un monde abîmé (…) Pas pour se retirer du monde, s’enclore, s’écarter, tourner le dos aux conditions et aux objets du monde présent. (…) Mais pour leur faire face autrement, à ce monde-ci et à ce présent-là, avec leurs saccages, leurs rebuts, mais aussi leurs possibilités d’échappées. (…)
Faire des cabanes en tous genres – inventer, jardiner les possibles ; sans craindre d’appeler « cabanes » des huttes de phrases, de pensée, d’amitié, de nouvelles façons de se représenter l’espace, le temps, l’action, les liens, les pratiques. Faire des cabanes pour occuper le terrain ; c’est à dire, toujours, aujourd’hui, pour se mettre à plusieurs. »
(Nos cabanes, Marielle Macé)
[Res]sources
En ligne
AOC
• « Après la crise : quelles formations pour relever les défis contemporains ? », Henri Bergeron, Olivier Borraz, Patrick Castel et François Dedieu, 03 juin 2020
• « Gestion de crise : comment tirer les leçons du coronavirus ? », Henri Bergeron, Olivier Borraz, Patrick Castel et François Dedieu, 22 avril 2020 ;
• « Imaginer les gestes-barrières contre le retour à la production d’avant-crise », Bruno Latour, 30 mars 2020) // Plateforme « Où atterrir après la pandémie ? »
Assises du design 2019
• Contributions politiques publiques, notamment :
◦ « Retrouver le sens du design (de politiques publiques) » ; Agence Grrr – Jacky Foucher, designer, co-fondateur de l’agence
Autrement Autrement (« Soigneusement entretenu par Vraiment Vraiment« ), notamment :
• Pour préparer demain, observer les transformations publiques par temps de crise, 05 mai 2020
• D’une pierre, deux ou trois coups, 29 avril 2020
• Demain (maintenant), l’espace public, 21 avril 2020
Centre de sociologie des organisation/Sciences Po – Sciences sociales en temps de crise
• « Les décisions dans la crise : trois modèles d’interprétation », Patrick Castel, 20 avril 2020
France Stratégie, « Séminaire soutenabilités », notamment :
• « Covid-19 : pour un « après » soutenable ; sept questions pour préparer demain »
Portail de la transformation de la fonction publique
• [Innovation : appel à témoignages] Dites-nous tout !
« Symbioses Citoyennes » (blog), notamment :
• Déconfiner l’action publique : propositions antifragiles
• Six manières d’injecter de l’inattendu dans l’action publique
Livres
Les Saprophytes, urbanisme vivant, Entretien avec Amandine Dhée, Editions La Contre Allée, 2017
Nos cabanes, Marielle Macé, Verdier, 2019